Tea for one, j'adore, pour moi ça s'apparente à du blues, je l'aurais un peu plus épuré quand meme (sans synthé quoi) mais c'est un must... bon pourtant je trouve que Jimmy ne se casse pas trop la nenette, mais bon, la voix est tellement magnifique, donne toute l'ambiance, que le reste suit...
Dom's je sais pas ou tu range tes chroniques mais je ne trouve pas "présence"...
Pierrou
Tea For One
Voilà donc pourquoi le Zep avait tenu à reprendre deux titres de Willie Dixon dès son premier album, pourquoi, sur chaque galette ou presque, ils nous avaient offert au moins un blues, alors que rien ne les y obligeait, pourquoi tous les soirs depuis 1970, ils ont préféré jouer ce Since I've Been Loving You toujours un peu trop long et trop démonstratif, plutôt qu'un des rocks irrésistibles dont ils ont le secret : ils s'entraînaient. Ils accordaient, patiemment, leurs muscles et leurs âmes en attendant l'instant propice, ce moment magique où il n'y aurait plus qu'à ouvrir les micros et à lâcher les guitares pour capter l'essence du blues, sans frime ni second degré. Le blues, le vrai, suinte déjà du demi-riff rock qui fait office d'introduction, lourd, poisseux, aussi incongru (mais indispensable) que ceux de Candy Store Rock ou Royal Orleans ("vous venez avec vos questions, je viens avec mes réponses", pourrait nous répondre le Jimmy Page de Munich), le funk sombre et boueux des entrailles de la Terre. La suite, sur le papier, ressemble presque note pour note à une version allongée et assouplie de Since I've Been Loving You. Pendant des années, je n'ai pratiquement pas entendu la différence entre les deux, et je crois bien que je préférais même l'original, pour son côté original, précisément. A toute première vue, Tea for One serait un peu comme une suite genre film hollywoodien à succès, un blues électrique encore plus long, encore plus lent, encore plus "mineur". Sauf qu'en fait, c'est tout le contraire, avant tout une humble merveille sombre et subtile. On n'en est plus à se poser des questions sur le jeu blues de Bonzo ici, sa frappe est pesante et retenue à la fois, horlogerie monumentale et sensible égrénant douloureusement les secondes comme si c'étaient des heures. Page parti d'emblée en solo suggère les notes plus qu'il ne les joue, il y a un feeling à la BB King là-dedans, dans cette façon d'aller choisir chaque note, de la saisir, l'articuler avec soin, pour mieux l'oublier dans la microseconde qui suit, sans maniérisme mais avec science, tact, et surtout un respect infini pour l'univers musical visité. Sur Since I've Been Loving You, la guitare savait déjà chuchoter, mais c'était pour mieux nous coller au mur l'instant d'après d'une rafale lespaulienne balancée fortissimo. A l'image de ses voisins d'album, Tea For One est beaucoup moins spectaculaire. L'ambiance trouble du morceau le rapprocherait plutôt de No Quarter ou Ten Years Gone, en plus intimiste et torturé encore - pas du blues noir, pas du blues blanc, mais un blues gris en transit perpétuel entre la langueur et la rage contenue. La guitare rythmique de Page, jouée du bout des doigts, glissant comme ça d'un haut parleur à l'autre, est encore plus belle, peut-être, que les soli profonds et passionnés qu'il a disséminés tout au long du morceau, elle tisse d'un bout à l'autre sa propre part d'ombre, s'emballe, s'effrite, se cabre parfois, et vaut autant par ses harmonies subtiles que par les respirations et les résonances qui accompagnent ses trajets. De la musique vivante, en liberté, alors que le piège du pastiche stérile pointait à chaque mesure, vivante mais patraque, déployée avec la lenteur cauchemardesque d'une créature informe des grands fonds marins, nourrie aux gaz toxiques, et préservée de l'effondrement par la basse cartilagineuse de John Paul Jones - le JPJ impeccablement sobre des grands soirs. Plant semble une nouvelle fois le plus engagé des quatre, majestueusement abattu, il chante sans fard et sans détour cette mélancolie sans fond qui vous tombe parfois dessus sans prévenir, pour une minute ou pour une vie, que vous soyez clochard ou rock-star. Enfiévré, pris dans une substance rythmique qui semble pouvoir s'étirer et s'étirer à l'infini, il est parfaitement en phase avec ses partenaires, beaucoup plus direct et profond à la fois que sur la plupart des vieux titres cafardeux du Zep, Sick Again en tête. Et ce Tea For One est donc encore une excellente conclusion d'album, qui résume Presence avec beaucoup d'intelligence : un retour aux sources du son zeppelinien, qui n'a pas oublié pour autant les fastes et la sophistication de Houses of the Holy et Physical Graffiti. Une façon brillante et juste un peu anticipée de boucler la boucle
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