Chronique longue.
Hier soir, concert de Bob Dylan, mon idole vénérée. Je m'étais un jour dit que mon objectif de fan dans la vie serait de voir Bob Dylan, Jimmy Page et Neil Young, tout en étant néanmoins réaliste et considérant que ce serait pure chimère. Ainsi, quand on m'a dit que Dylan passerait en concert à Marseille, je suis tout bonnement devenu fou.
J'y suis allé avec des amis et mes parents. Arrivé une heure en avance, ayant appris que le métro était en panne (ce qui s'est avéré faux, mais passons), on a eu le temps de flâner dans le Dôme, sentir l'atmosphère et trouver des sièges, car la fosse était stupidement peuplée de sièges grotesques, tout le monde étant finalement resté debout. Donc, on est placés dans l'axe de la scène, mais à vingt mètres au lieu du premier rang espéré. Les gens n'étaient pas aussi nombreux que je le pensais. Le public était majoritairement composé de vieux soixante-huitards et de jeunes hippies, punks, rockeurs. Les tee-shirts de Led Zep, arborés à foison (!).
20h40, la pièce est subitement plongée dans le noir, une raffale de musiciens superbement habillés en costumes blancs avec des chapeaux texans déboule en courant sur scène sur le son d'une voix off à l'accent américain prononcé qui annonce le nom du groupe en nous appelant « ladies and gentlemen ». On sent l'excitation, mais tout le monde, pris de court, pense qu'il s'agit d'une première partie jusqu'à ce que, après avoir pris une pause, la voix off annonce « Please welcome Mr. Bob Dylan ». Et là, un gringalet habillé comme un monsieur Loyal de cirque avec son fameux chapeau qu'il arborait dans les années 70 déboule en courant, lui aussi, sur la scène. Il se jette sur le synthétiseur au son d'orgue Hammond et envoie « Leopard Skin Pill Box Hat » sans que l'on n'ait le temps de réaliser et de prendre notre souffle.
Là, je suis totalement pétifié et incapable de comprendre quoi que ce soit, ni ce qui m'arrive. Je dois avoir la bouche bée comme un abruti pendant cinquante bonnes secondes, ce qui est long. Ce n'est que très progressivement que je commence à réaliser que c'est bien lui qui se tient en face de moi et qui aboie les chansons de Highway 61, ce petit homme habillé comme un clown, les jambes rentrées vers l'intérieur, à l'apparence nerveuse et à la gestuelle scénique maladroite. Ce sont des sentiments assez indescriptibles, tout ce que je peux dire, c'est que j'ai commencé à être totalement bardé de frissons de haut en bas et à avoir quelques larmes aux yeux.
(Photo Zegut)
C'était inouï. Le contraste entre cette légende vivante, Dieu poète, maître-compositeur que Hendrix vénérait, revendiquant directement son influence rimbaldienne, auteur de chansons qui m'ont tellement transcendé, se tenant devant moi, et à l'apparence aussi risible chantant avec une telle voix ses chansons dans un bête rythme de rock n' roll à l'américaine m'a sidéré. Il y avait quelque chose de pittoresque et de quasi-poétique dans le contraste entre cette attitude triviale, banale voire maladroite et la grandeur du personnage. Comme prévu, il n'a pas adressé un seul mot au public pendant tout le concert, à l'exception d'un « Thank You » à la fin de LARS, accompagné d'une énumération des noms des musiciens, qu'il a, de manière surprenante, retenus. Entre les chansons, les lumières de la salle s'éteignaient et on était plongés dans le noir, le temps pour le groupe de préparer le morceau suivant, qu'ils envoyaient généralement sans beaucoup de transitions.
Au fur et à mesure du concert, il s'est éclairé et on voyait Dylan prendre progressivement vie. Il a commencé à s'installer dans le concert, à sourire parfois, à chanter en regardant le ciel et proclamant plus que chantant. Là, il y avait clairement une sorte d'aura autour de lui et il paraîssait heureux d'être là et même très énergique. Je me suis levé de mon siège pour tenter une percée vers les premiers rangs. Le miracle, c'est qu'au même moment, résonnent les premières notes de Ballad Of A Thin Man, chanson mythique s'il en est. Sa tête était hallucinée. Un sourire béat, les yeux profondément concentrés, orientés vers le plafond de la salle et la voix de plus en plus confortable et claire nous contait les mésaventures de Mr Jones sur ce ton prophétique, chamanique, si caractéristique.
Il a joué pas mal de chansons de ses derniers albums, trop même, et assez peu de classiques. Le son du Dôme était excessivement médiocre, il n'y avait donc aucune chance d'apprécier la finesse de l'instrumentation sans compter que sa voix était en dessous du niveau des instruments, donc très peu audible. On ne comprenait que très peu ce qu'il chantait. D'autant qu'il prenait un malin plaisir à déstructurer les chansons, les rendant difficilement reconnaissables. Je n'avais même pas reconnu Blind Willie Mc Tell, c'est pour dire...
Forgetful Heart, chanson récente de l'album "Together Through Life", a été absolument splendide, jouée en acoustique, sans batterie avec un violon derrière. Il suffisait de fermer les yeux pour décoller.
Sinon, je m'attendais fortement à un Tambourine Man ou à un One More Cup Of Coffee, qui ne sont malheureusement pas venues, mais globalement la setlist quand même très bonne. Pour le reste de ses classiques, il était, paraît-il, prévisible qu'il les ignorât.
1. Leopard-Skin Pill-Box Hat
2. It Ain't Me, Babe
3. Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again
4. Just Like A Woman
5. I Don't Believe You (She Acts Like We Never Have Met)
6. High Water (For Charley Patton)
7. Desolation Row
8. Blind Willie McTell
9. Honest With Me
10. Shelter From The Storm
11. Highway 61 Revisited
12. Forgetful Heart
13. Thunder On The Mountain
14. Ballad Of A Thin Man
(encore)
15. Like A Rolling Stone
16. Forever Young
Les deux heures de concert se sont déroulées à une vitesse vertigineuse, et il n'a accepté qu'un seul rappel. C'était totalement irréel et je ne suis pas certain d'avoir encore compris ce qui est arrivé...