pierrou
Candy Store Rock
Voilà un morceau que j'ai longtemps considéré comme le vilain petit canard de Presence. Une chanson maudite dont j'ai toujours été incapable de me rappeler la moindre note à moins de l'avoir entendue deux minutes avant, le noir complet, systématiquement. Les rares fois où je daignais l'écouter, coincée qu'elle était entre un Nobody's Fault but Mine plus puissant et un Hots On For Nowhere impeccable, elle ne m'évoquait pas grand chose, sinon peut-être quelques comparaisons peu flatteuses, du genre "Trampled Under Foot unijambiste" (unijambiste toi-même!), pour le côté mécaniquement entraînant (mais grippé), ou "Heartbreaker nain qui casse rien", à cause de l'accumulation compulsive des vices de forme. Et en trente ans, pas une seule version live pour nous donner envie de s'y replonger, hormis le petit clin d'oeil tardif de Page et Plant au festival de Montreux 2001, lors d'une soirée-hommage aux disques Sun (tiens tiens!). Ainsi donc, les amateurs de gros son, de riffs cinglants et de rythmiques cinglées, déjà bien malmenés depuis le début du disque, en sont une fois de plus pour leurs frais. Il faut dire que Candy Store Rock - le Rock du Marchand de Bonbecs - nous renvoie directement à une époque lointaine où les guitares double-manche, les murs d'amplis Marshall et le porno du samedi soir relevaient encore de la science-fiction, une époque que l'on appelle communément par chez nous "le bon vieux temps du rock'n'roll". Ici, quand Jimmy Page envoie la purée, sa virtuosité brouillonne et presque gauche me rappelle complètement le soliste de l'âge de pierre qui sévissait sur les disques de Bill Haley (oui, j'ai des lacunes en rock'n'roll), dont les bricolages ressemblaient plus à de frêles caisses à savons dont les freins pouvaient lâcher à tout moment qu'aux délires en tapping à huit doigts qu'on enseigne maintenant à tous les mômes dans les écoles. On sait bien qu'au temps béni des premiers rockabillies, une fille dont la jupe montait un peu au dessus des genoux ou un simple déhanchement d'Elvis Presley engendraient systématiquement des scènes d'hystérie collective, et trois accords de guitare empruntés à Hank Williams et lâchés au bon moment pouvaient faire du premier blanc-bec en blue jeans venu un terroriste ou un messie. Tout à fait dans l'esprit minimaliste mais fougueux des pionniers, Candy Store Rock est peut-être le titre le plus dépouillé de l'histoire du Zep, pas d'overdubs, pas de chichis, et tant pis pour les pains - bon, c'est quand même Led Zeppelin qui joue et pas l'orchestre de baloche du cousin du beau-frère - tant que l'énergie circule. Ca sent la première prise, ça sent la poudre, je ne vois vraiment pas, quand je l'écoute maintenant, comme j'ai pu passer à côté d'une telle merveille pendant si longtemps, le plus chouette étant peut-être la guitare impulsive et imprévisible de Jimmy Page, qui traverse le morceau comme une tornade, ou plutôt, comme un comédien à moitié timbré qui aurait décidé de jouer tout seul et à toute vitesse tous les rôles de la pièce. Le petit truc en plus, c'est qu'il n'est pas tout seul, le groupe apparaît même ici soudé comme jamais, à la fois souple comme une liane et tendu comme un slip, une vraie leçon de "tight but loose" en somme - concept initialement inventé pour essayer de mettre en mots l'imprévisibilité rigoureuse, le sérieux délirant du Zeppelin en live, mais qui décrit aussi parfaitement l'ambiance du morceau. Candy Store Rock est donc bien un morceau 100% pur Led Zep, et pas un simple pastiche rockab' éventé, même si Robert Plant fait beaucoup d'efforts pour être dans le ton, avec cet écho extra piqué à l'Elvis des Sun Sessions et ces paroles crétines truffées de doubles sens dans le genre "viens goûter mon sucre d'orge" (c'est même bien pire que ça en réalité). Led Zeppelin sait donc encore rigoler, et surtout, faire du Led Zeppelin sans pour autant se répéter. A la réécoute, ce Candy Store Rock me fait aussi un peu penser à un tout petit film amateur visionné cet été au musée Picasso de Paris, où l'on voyait l'artiste, à Vallauris, se saisir d'un vase fraîchement façonné pour lui tordre le cou et en faire une colombe. Ca durait une minute à tout casser, c'était magnifique, et au même titre que chacun des collages, peintures ou sculptures du maître, le résultat était bien entendu un Picasso à part entière. De la même façon que Pablo Picasso aura mis toute une vie à retrouver la spontanéité artistique d'un môme de cinq ans, il aura donc fallu attendre l'avant-dernier album de Led Zeppelin pour que le groupe sache enfin jouer, sans calcul, de tout son coeur et de toutes ses tripes, ce foutu rock'n'roll qui scella le destin de chacun de ses membres à l'âge des jeux de cours d'écoles et des bonbons qui collent aux dents.
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